HeLa

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Postby Pierre Equey » Thu Aug 30, 2012 10:42 pm

Henrietta Lacks

<photo id="1"/>Henrietta Lacks avait déjà donné trois fois la vie. Aussi, lorsque des élancements répétés sourdirent de son sein, elle pensa: "Yepee! Je vais avoir un bébé. C'est mon mari David qui va être content!"

Elle était profondément croyante et pensait que tout enfantement devait se faire dans la douleur. Mais tout de même… au bout d'une semaine, les élancements qui sourdaient de son sein s'étaient amplifiés au point d'être devenus insoutenables.

Des doutes l'envahirent peu-à-peu: l'évènement qui la tenaillait était-il réellement d'heureux augure? Elle voulut en avoir le cœur net et le 1er février 1951 elle se rendit à l'hôpital Johns Hopkins de Baltimore pour consulter. Le diagnostic du médecin qui la vit lui fit effet d'un couperet: "Henrietta. Vous avez un cancer cervical; il faut vous hospitaliser immédiatement" lui dit-il.

Ensuite, la pauvre Henrietta ne quitta plus l'hôpital. A l'époque le combat contre le cancer commençait à peine, la science était pratiquement impuissante contre les tourments infligés par cette terrible maladie; et aujourd'hui d'ailleurs, ce combat est encore loin d'être gagné.

Les semaines qui suivirent furent pour Henrietta une montée au Calvaire. Sa mort, survenue le 4 octobre 1951, fut probablement pour elle une délivrance. Ensuite, elle fut portée anonymement en terre au cimetière de Clover, dans le comté virginien d'Halifax, d'où était originaire sa famille. Récemment, la ville d'Halifax voulut lui élever un monument funéraire posthume, mais on ne put retrouver sa dernière demeure.

La culture de cellules humaines

<photo id="2" /> L'hôpital Hopkins était alors un hôpital universitaire. L'évolution foudroyante de la maladie d'Henrietta était inhabituelle. Elle intéressa donc les médecins qui décidèrent de prélever quelques cellules tumorales sur feu leur patiente afin d'analyse.

Les praticiens se devaient de faire vite; car à l'époque les cellules humaines se conservaient très-mal in vitro. En dépit de toutes les précautions possibles, personne n'avait réussi à les cultiver plus de quelques jours .

Une fois mises en boîte de Pétri, lesdites cellules mouraient invariablement au bout de 50 divisions; et personne ne comprenait alors le pourquoi de cette fragilité. On savait pourtant que les cellues des être vivants (humains, animaux ou végétaux) étaient structurellement proches, sinon complètement identiques; les biologistes de l'époque se disaient ainsi…

… lorsqu'on les cultive, les cellules végétales continuent à vivre, et peuvent même donner de nouvelles plantes;

… dans les mêmes conditions, les cellules humaines et animales meurent rapidement;

… pourquoi? Il nous faudrait disposer d'un modèle d'étude.

Georges Gey



<photo id="3" />Le département histologique de l'hôpital Hopkins, dirigé par le Professeur Georges Gey, reçut les échantillons de cellules tumorales d'Henrietta, le jour même du décès .

Il plaça alors les cellules tueuses à l'intérieur d'une boîte de Pétri dans laquelle se trouvait leur brouet préféré: un mélange d'amidon, de glucose et de protéines.Il espérait ainsi pouvoir les maintenir en vie au moins quelques jours ces cellules, afin de les étudier.

Il inscrivit le mot HeLa (abréviation d'Henrietta Lacks) au crayon-feutre bleu sur la boîte de Pétri, puis la plaça dans un incubateur.

Et le lendemain, en observant lesdites cellules au microscope, Georges Gey eut probablement la surprise de sa vie…

Non seulement les cellules HeLa ne semblaient pas fatiguées par leur nuit en boîte de Pétri; mais plus encore, elles semblaient éclater de santé. Elles se divisaient allègrement. Le Professeur Gey voulu en avoir le cœur net; il insémina toute une rangée de boîtes avec des cellules issues de sa première boîte de Petri…

<photo id="4" /> … Au bout d'une semaine, la croissance des cellules HeLa ne faiblissait toujours pas. La biomasse de chaque boîte avait même atteint l'énorme densité de 9.105 cellules/ml, identique à celle d'une culture bactérienne. Par la suite et jusqu'à nos jours, les cellules HeLa continuent de se diviser...

Georges Gey venait de faire une découverte majeure qui révolutionna la biologie. Il avait trouvé la première souche cellulaire pouvant de se développer in vitro.

Les cellules HeLa furent ensuite distribuées à différents laboratoires de recherche à travers le monde. Elles permirent de faire des expérimentations jusque-là impossibles. On les utilisa, par exemple, comme modèle pour l’étude de la transmission des signaux intercellulaires; elles furent également utilisées pour mettre au point le premier vaccin contre la poliomyélite par Jonas Salk en 1955.

Et il faut aussi le dire, les cellules HeLa épargnèrent une fin atroce à de nombreux animaux. Car certaines expédiences de virologie qui se faisaient à l'époque (et qui peut-être continuent de se faire) frisaient quelquefois la démence.

Les enfants d'Henrietta Lacks

<photo id="5" /> Aujourd'hui encore les cellules HeLa sont l'objet de travaux dans le monde entier. Il en existe d'ailleurs plus d'une dizaine de variétés différentes, adaptées à leurs objets d'étude. Un biologiste, Leigh Van Valen, écrivit à leur sujet en 1991:

- "Il faut se rendre à l'évidence. Les cellules HeLa ne sont plus humaines. Elles possèdent 82 chromosomes, avec 4 copies du chromosome 12 et trois copies des chromosomes 6, 8 et 17; il s'agit donc d'un cas de dévolution, dans lequel un organisme multicellulaire complexe s'est transformé en un organisme monocellulaire simple. C'est probablement le premier cas documenté d'apparition d'une nouvelle espèce."

Il nomma Helacyton gartleri cette nouvelle espèce.

Et en fait la pauvre Henrietta attendait bien un enfant. Mais un enfant bien différent de tout ce qu'elle aurait pu imaginer. Elle est la mère d'une nouvelle lignée d'êtres vivants...
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Pierre Equey
 
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